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[Usbek & Rica] Guenyveau : "On ne peut pas changer une partie de l'homme sans changer l'humanité"

Usbek & Rica 19/09/2017 #Transhumanisme #Société


Romane Mugnier



Au détour d'une page Facebook, on apprend la création d'une entreprise française spécialisée dans la génétique, la biologie, l'informatique et les sciences du cerveau. Son nom ? Trans K. En quelques semaines, 5 000 internautes suivent avec intérêt les publications de cette société qui souhaite « augmenter l'homme ». Derrière ce projet, un coup de com' visant à promouvoir le premier roman de François-Régis de Guenyveau, Un dissident (Albin Michel, 2017).

L'ouvrage s'attaque aux problématiques posées par l'idéologie transhumaniste et se construit comme un récit initiatique dans lequel Christian, jeune scientifique prodige, remet en cause la recherche de la perfection humaine. Inspiré par Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley, La mort de la mort, écrit par Laurent Alexandre, et la philosophie de Nietzsche, François-Régis de Guenyveau cherche, dans son premier roman, sorti le 23 août 2017, à « voir le futur avec optimisme ». S'il s'intéresse au transhumanisme, terme utilisé pour la première fois en 1957 par le frère d'Aldous Huxley, Julian, c'est avant tout pour réveiller les consciences et susciter le débat autour de ce qu'il considère comme une « idéologie ». Son roman, Un dissident, raconte le parcours d'un garçon surdoué, passionné par les chiffres et les démonstrations mathématiques, qui commence sa carrière de chercheur à seulement vingt ans, dans une société mystérieuse, dirigée par son oncle. Cette entreprise, implantée dans la forêt de Cold Spring, à une heure de Manhattan, s'appelle Trans K. Et son objectif est simple : inventer l'homme de demain. Christian sera donc partagé entre sa foi sans faille envers la science, sa détermination à atteindre la perfection humaine via le développement technologique, et ses questionnements sur la nature de notre espèce.


Usbek & Rica : Avant la sortie de votre roman, vous avez choisi de faire exister, virtuellement, la société Trans K, dans laquelle travaille votre héros. Pourquoi ce choix ?


François-Régis de Guenyveau : Parce que c'est un jeu. J'aime mêler le faux au vrai, les faits à la fiction, j'aime que le simulacre ait un impact dans la vie réelle. Rendre publique cette société virtuelle a permis d'éveiller le débat autour de l'avènement de l'homme augmenté. À travers la création de son site Internet et de sa page Facebook, la société Trans K a suscité de nombreuses réactions sur Internet, avec, parfois, des angoisses et des questions passionnantes. Toute cette fausse campagne de communication m'a conforté dans mon choix d'écrire sur le transhumanisme dans la mesure où c'est un thème ancien et actuel, qui possède un potentiel dramaturgique colossal.


Un dissident, votre premier roman, ne remet pas en cause les progrès scientifiques mais questionne plutôt l'idéologie transhumaniste...


Les transhumanistes veulent augmenter la nature humaine, ce n'est pas tout à fait la même chose que de guérir des maladies. Cette ambition, me semble-t-il, concerne l'humanité dans son ensemble. Nous en sommes tous affectés par le projet transhumaniste. Et pourtant, personne parmi nous n'a été consulté.


L'idéologie transhumaniste m'effraie et me fascine car augmenter une partie de l'humanité, c'est supposer qu'on puisse en réduire une autre. Je crois que l'homme est infiniment plus que ce que le transhumanisme veut faire de lui.

Votre héros, Christian, est un scientifique surdoué, qui a des difficultés à nouer des relations sociales et à comprendre l'homme. Pourtant, il travaille sur toutes les technologies qui visent à l'améliorer...


Christian voit la vie à travers des chiffres et des démonstrations. Son plus grand rêve consiste à faire de l'homme un objet parfait. Il a une vision mécaniste du genre humain. C'est un peu le dernier avatar de notre modernité. A ses yeux, l'homme n'est rien d'autre qu'un ensemble de rouages, une machine que l'on pourrait démonter et remonter à loisir.

Et puis, bien entendu, il va se trouver confronté à d'autres visions du monde, d'autres points de vue incarnés par des personnages qu'il rencontre au hasard, entre Paris et Manhattan. Il ne tirera pas de ces rencontres une solution toute faite, les sources d'une bifurcation évidente : les voies de la dissidence n'ont jamais rien d'évident. Mais il finira tout de même par renouer avec cette vérité fondamentale que la modernité nous a fait oublier : la réalité est éminemment plus complexe qu'une série d'engrenages que l'on pourrait séparer les uns des autres ; en réalité tout est lié, et par conséquent nous ne pouvons pas changer un homme sans changer l'humanité tout entière.


Pourquoi avons-nous oublié cette vérité toute simple ? Peut-être parce que le système technique qui nous coupe de la complexité du monde est le même qui nous procure cette extase de la vitesse dont parlait Kundera, le même qui nous plonge par conséquent dans l'oubli de l'être. Avec l'accélération des découvertes technologiques, les citoyens n'ont même plus le temps de se mettre à la page des avancées scientifiques, encore moins d'en questionner le sens. Ils se mettent à la page, ils "s'updatent", ils consomment pour ne pas être écartés, et voilà tout. Remarquez, la technique dont parlait Kundera n'est plus tout à fait la même que celle que nous connaissons aujourd'hui : elle n'est pas le simple prolongement de notre corps, elle en fait partie intégrante, elle est en nous, et nous en elle, nous devenons des amas de sang incrustés de silicium. Comment ne pas oublier dans notre humanité charnelle dans ces conditions ?


La technique est notre salut, et les GAFAM nos nouveaux dieux. Nous les idolâtrons en moyenne six heures par jour.

Quelle place laisser à la croyance dans un monde où la science semble vouloir tout diriger, tout résoudre ?


J'aime le mot "croyance". Croire, c'est avoir confiance en quelque chose qui nous dépasse, mais c'est aussi ne pas être sûr. Il me semble que dans nos sociétés occidentales, la croyance perd du terrain sur ces deux fronts. Accepter que quelque chose nous dépasse, c'est un scandale pour l'homme tout-puissant et solitaire. Et ne pas être sûr, c'est une folie pour les bêtes rationnelles que nous sommes. Tout au long du roman, Christian apprend à lâcher prise. Il se rend progressivement compte que l'équilibre de la science se trouve dans tout ce qui lui échappe.


À l'âge de 9 ans, Christian est déjà un dissident en puissance. Jeune prodige incompris, il a du mal à s'épanouir dans les établissements scolaires français qu'il fréquente. Notre système pédagogique est-il si défaillant que ça dans l'encadrement de ces enfants surdoués ?


Je ne suis pas Christian, et j’ai personnellement beaucoup aimé ma scolarité. Je dois énormément à ma maîtresse de grande maternelle, qui m'a fait découvrir deux trésors de la culture universelle (L'odyssée d'Homère et La flûte enchantée de Mozart) et à mon maître de CP qui m'a appris à lire, à écouter les histoires et à jouer aux échecs (même si je n'ai jamais été un bon joueur). Je leur en suis infiniment reconnaissant.


Dans ce roman, le narrateur met en question le modèle unique de notre enseignement. Il ne croit pas en un système qui s'imposerait à tous les élèves. Je n'y crois pas non plus, mais pour tout dire je suis aussi un peu de la vieille école : à choisir, je préfère encore un système unique et exigeant à une multitude d'enseignements pseudo-progressistes. Je regrette le temps de ces sociétés où il existait des vérités et des savoirs à transmettre. Je me souviens avoir été très frappé, en terminale, par un entretien de Michel Foucault (il me semble que c'était sur Radioscopie, ou peut-être au Collège de France). Fidèle à sa philosophie, faisant de la transmission du savoir une composante essentielle du pouvoir politique, il s'inquiétait de sa propre influence et déclarait à l'auditoire ne plus vouloir apprendre de choses à ses élèves pour éviter de les évaluer et de les culpabiliser. Même si l'on a tendance à faire du transhumanisme l'héritier de la pensée moderne, il me semble ici qu'il puise aussi quelque chose dans la French theory et les philosophes post-modernes, dans la mesure où, comme eux, il prône le déracinement, la rupture, dans la mesure où il cherche à se désencombrer de tout ce qui le précède.


J'ai beaucoup d'admiration pour Foucault sur bien des sujets, mais en l'occurrence je trouve cette idée effroyable et désespérante. J'aime pour ma part l'idée de la transmission. J'aime l'idée d'avoir une dette envers le passé et j'en fais d'ailleurs chaque jour l'expérience lorsque je lis des écrivains que j'admire. Plus globalement, j'aime me dire que j'ai encore tout à apprendre et qu'une personne, quelque part, en sait davantage que moi. Je reste convaincu que les professeurs ont des trésors à transmettre aux enfants.


Partagé entre un père qui souhaite son bonheur et une mère qui espère voir son fils réussir dans la vie et devenir célèbre, Christian devient un scientifique insociable, qui reste enfermé dans son centre de recherche situé en pleine forêt de Cold Spring, à une heure de Manhattan. Est-ce que ça veut dire que science et épanouissement de soi ne peuvent pas faire bon ménage ?


Oh je crois que la science est tout à fait capable d'être une source d'épanouissement, et je pense que c'est une bonne chose. La science est belle, dans la mesure où elle mobilise le meilleur de l'intelligence humaine. La question que je pose dans le roman est plutôt celle de la technique : jusqu'où irons-nous dans notre masochisme technologique ? Nous sentirons-nous toujours vivants lorsque nos corps seront gadgétisés, numérisés, algébrisés ? Serons-nous encore capables, dans cent ans, de sentir la fraîcheur de la mer et l'humidité des forêts ?


Un dissident, François-Régis de Guenyveau, publié chez Albin Michel. Illustration de une : François-Régis de Guenyveau, crédits Astrid di Crollalanza


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